
Chaque été, les services de secours en montagne enregistrent des centaines d’interventions liées aux coups de chaleur et à la déshydratation. Ces accidents, souvent dramatiques, sont pourtant évitables grâce aux techniques développées par les guides professionnels au fil de décennies d’expérience. En tant que guide de haute montagne depuis 15 ans, j’ai été témoin de situations critiques qui auraient pu tourner au drame. Aujourd’hui, je partage les protocoles de sécurité que nous utilisons pour protéger nos clients des dangers de la chaleur estivale.
Reconnaître les signaux d’alarme avant qu’il ne soit trop tard

Les premiers signes que 90% des randonneurs ignorent
La détection précoce des troubles liés à la chaleur peut sauver une vie. Contrairement aux idées reçues, les premiers symptômes ne sont pas toujours évidents. Un simple mal de tête, une légère confusion ou une irritabilité inhabituelle peuvent annoncer un coup de chaleur imminent. J’ai appris à observer mes clients avec une attention particulière : la cessation de la transpiration représente le signal d’alarme absolu. Quand le corps arrête de transpirer malgré l’effort et la chaleur, c’est que ses mécanismes de régulation thermique ont lâché. Les guides expérimentés surveillent également la couleur des urines lors des pauses. Une urine foncée indique une déshydratation avancée qui nécessite un arrêt immédiat et une réhydratation progressive.
La différence cruciale entre insolation et coup de chaleur
Beaucoup confondent ces deux urgences médicales, pourtant distinctes. L’insolation résulte d’une exposition directe prolongée au soleil, principalement au niveau de la tête. Elle se manifeste par des maux de tête violents, des nausées et parfois de la fièvre. Le coup de chaleur, plus grave, correspond à une défaillance généralisée du système de thermorégulation. La température corporelle dépasse 40°C, la peau devient brûlante et sèche, et des troubles neurologiques apparaissent. Sans intervention rapide, le pronostic vital est engagé.
| Stade | Symptômes | Action requise |
|---|---|---|
| Épuisement léger | Soif, fatigue, transpiration | Pause, hydratation, ombre |
| Épuisement sévère | Maux de tête, nausées, crampes | Arrêt, refroidissement actif |
| Coup de chaleur | Confusion, peau sèche, T°>40°C | Urgence vitale – Secours |
Échelle de gravité des troubles liés à la chaleur
La stratégie d’hydratation professionnelle

La règle des 3-5 cl que personne ne connaît
Les guides appliquent une méthode d’hydratation préventive drastiquement différente des habitudes du grand public. Au lieu d’attendre la soif, nous buvons 3 à 5 cl toutes les 15 à 20 minutes, même sans sensation de besoin. Cette approche systématique maintient un niveau d’hydratation optimal sans surcharger l’estomac. Une grosse quantité d’eau ingérée d’un coup provoque des ballonnements et peut même déclencher des vomissements en altitude. Pour mes groupes, j’impose des « alertes hydratation » programmées. Chaque participant doit boire à ma demande, qu’il ait soif ou non. Cette discipline stricte a permis d’éviter des centaines d’incidents au fil des années.
L’erreur fatale de l’eau pure par forte chaleur
Boire uniquement de l’eau pure lors d’efforts prolongés en chaleur peut provoquer une hyponatrémie (baisse dangereuse du sodium sanguin). Cette condition, potentiellement mortelle, se manifeste par des crampes, de la confusion et des convulsions. Les guides professionnels alternent systematiquement eau pure et boissons électrolytiques légères. Une solution simple : une pincée de sel marin et une cuillère de sucre dans un litre d’eau reconstitue l’équilibre minéral perdu par la transpiration. J’ai vu des randonneurs s’effondrer après avoir bu 4 litres d’eau pure en 6 heures d’effort. Leur organisme, « noyé » de l’intérieur, ne pouvait plus assimiler les minéraux essentiels.
Techniques de refroidissement d’urgence sur le terrain

Le protocole « ombre-hydratation-immobilisation »
Face à un randonneur en détresse thermique, chaque seconde compte. Les guides appliquent un protocole standardisé en trois étapes simultanées qui peut sauver une vie en quelques minutes. Première action : créer de l’ombre immédiatement, même improviser avec des vêtements ou un sac à dos. La température corporelle doit baisser prioritairement avant toute autre intervention. Deuxième étape : hydratation progressive par petites gorgées d’eau fraîche (jamais glacée !). Si la personne présente des troubles de la conscience, on humidifie seulement les lèvres en attendant les secours. Troisième mesure : immobilisation complète en position allongée, jambes surélevées pour favoriser le retour veineux. Tout effort supplémentaire aggraverait la situation.
La technique du refroidissement par évaporation
Cette méthode, enseignée dans toutes les formations de guide, exploite les principes physiques de l’évaporation pour faire chuter rapidement la température corporelle. Un linge humide appliqué sur la nuque peut abaisser la sensation thermique de 3 à 4°C. Les zones de refroidissement prioritaires sont les points de pulsion : nuque, poignets, tempes et chevilles. Ces endroits, où les vaisseaux sanguins affleurent, permettent un refroidissement systémique efficace. Attention : jamais d’eau glacée directement sur la peau ! Le choc thermique peut provoquer une vasoconstriction paradoxale qui aggrave la surchauffe interne.
| Technique | Réduction température | Rapidité d’action |
|---|---|---|
| Linge humide nuque | 2-4°C ressentis | Immédiate |
| Immersion pieds | 1-2°C corporelle | 5-10 minutes |
| Ventilation forcée | 1-3°C ressentis | Immédiate |
| Ombre complète | 5-8°C ambiante | 10-15 minutes |
Efficacité des techniques de refroidissement
Adaptation de l’itinéraire aux conditions extrêmes

La planification thermique des parcours
Les guides professionnels étudient méticuleusement les cartes d’exposition solaire avant chaque sortie estivale. Nous identifions les segments ombragés, les points d’eau naturels et les zones de repli d’urgence. Une règle fondamentale : réduire la distance prévue de 30% dès que les températures dépassent 30°C. Cette marge de sécurité compense la fatigue accrue et permet des pauses prolongées sans compromettre les horaires. Les départs avant l’aube (5h-6h) constituent la norme en été. Ces créneaux horaires offrent 3 à 4 heures de marche dans des conditions acceptables avant que la chaleur ne devienne critique.
Les points d’évacuation d’urgence
Chaque itinéraire estival doit inclure des « segments d’évacuation » – des portions où un retour rapide vers la civilisation reste possible. Cette planification défensive a sauvé de nombreuses sorties quand les conditions se dégradaient. J’enseigne à mes clients la règle du tiers : un tiers de ses forces pour monter, un tiers pour redescendre, et un tiers en réserve pour les imprévus. En période caniculaire, cette réserve devient vitale. Les guides expérimentés mémorisent également les numéros d’urgence locaux et les coordonnées GPS des zones d’atterrissage pour hélicoptère. Ces informations, espérons-le inutiles, peuvent faire la différence en cas de problème grave.
